Angelus Hut

En feuilletant les livres du Beaconstone, nous découvrons l’Angelus Hut, randonnée au nom charmeur, à laquelle nous ne pouvons résister. Trois jours, deux nuits, de la montagne, des paysages sublimes, une Hut très réputée, il n’en faut pas moins pour nous faire décoller de notre petit coin de paradis. Mais avant l’action, la préparation, étape primordiale.

J-3 Check the weather forecasts: un énième tour à la bibliothèque le confirme une fois pour toute, nous avons mis dans le mil, beau temps mardi, mercredi et jeudi prochain. Mais, et il y’en a un gros, le Sébastien Folin local est du genre gaffeur. Il peut annoncer du beau temps pour le jour J, ce n’est pas pour autant que la pluie ne se pointera pas. Ici, la météo tient plus de la loterie que de la science, c’est à peine si on peut s’y fier la veille pour le lendemain ! Mais, comme nous aimons vivre dangereusement, nous prenons le risque, nous partirons lundi prochain, pour commencer la rando dès le lendemain, plus où moins à la première heure.

J-2 Préparer son backpack sous le soleil : exactement comme ça n’était pas prévu, le soleil brille de mille feux. Un dernier treat à la Bay House pour chasser la nostalgie, nous voila psychologiquement prêts à quitter le nid. Essentielle, la préparation du sac requiert toute notre attention. Deux limites s’imposent à nous, la capacité du sac et la résistance de Nico. Moins fort qu’un Sherpa, Nico ne peut pas tout trimbaler sur le dos, et de toute façon la place est comptée dans le sac. Tout est donc  méticuleusement recensé: six bars de céréales, deux snickers, quatre sachets de nouilles chinoises, deux sachets de riz complet, une boîte de sardines au citron, quatre pommes, un reste de fromage, du jambon et du pain pour les sandwichs, deux parts de clafoutis préparées la veille, deux bouteilles d’eau, deux sachets pour des infusions (un thé et une tisane), un gaz cooker, les gamelles, l’opinel, nos couverts all-in-one (fourchette, couteau, cuillère), un plaid, deux sacs de couchage, des vêtements secs pour le soir, les bonnets, les gants, la crème solaire, quelques médicaments, les lunettes, sans oublier bien sûr l’appareil photos et la caméra. Cet inventaire à la Prévert, n’est pas seulement ennuyeuse, elle est également lourde. Une fois le paquetage fait, 8 kilos pour Nico, 3 pour Célia, pas rien.

J-1 Départ pour Saint Arnaud: le temps est comme nous, triste. La voiture est chargée, l’heure des au-revoir venue, l’heure du départ a sonné. Sur la route, la pluie fait quelques incursions, pas bon signe. Demain, nous n’aurons plus de toit pour nous protéger, prions pour que la météo soit fiable. Arrivés sur place, notre optimisme est mis à rude épreuve, la grisaille s’accroche aux montagnes comme les puces aux chiens. Au bureau du DOC (Département of Conservation), où nous devons réserver notre nuit en hut et prendre des renseignements, nous tombons nez à nez avec un être moitié rugbyman, moitié mégère. Son plus beau sourire incrusté sur sa face, elle nous annonce que la rando que nous avions prévu est fermée. Sans équipement adéquat (crampons et piolets), nous ne pourrons emprunter un des tronçons, la voie est gelée. Heureusement, il y’a un plan B ! Angelus Hut est accessible par un autre chemin, la Speargrass valley. Au lieu de trois jours, seuls deux sont nécessaires. Bloody ice, tout le backpack est à refaire ! Mais avant tout, trouvons de quoi dormir. Nelson Motel & Backpacker, plus une seule chambre de libre, nous devons migrer dans un cottage, petite maison que nous partagerons avec un couple de retraités du sud de la France, ça sent la partie de pétanque ! Avant d’entamer la discussion, le sac à dos. Nico lutte farouchement pour l’abandon du gaz cooker, on le soupçonne de vouloir s’économiser un peu de poids. Comme le temps n’est pas au grand froid, il l’emporte, nous mangerons froid, les nouilles chinoises ça sera pour une prochaine fois.

Jour J A l’attaque du Mont Robert: les pattes commençaient à nous démanger, un petit moment que nous n’étions partis en rando. Une fois n’est pas coutume, la météo a juste, ce n’est pas grand ciel bleu, mais c’est quand même pas mal. Nous commençons par le plus spectaculaire, la crête de Robert. Dit comme ça, on pourrait penser à la coupe de cheveux de Robert, votre voisin retraité. En anglais ça le fait plus, la Robert Ridge Track, chemin qui passe sur la crête de la montagne, le Mont Robert. La montée est un peu poussive, le manque d’exercice se fait ressentir. Arrivés là-haut, ça souffle un max, la frange de Célia ne tient pas en place. Sans aucune protection, exposés aux quatre vents, il fait frisquette. Nos blousons ne font pas la balade pour rien, nous les enfilons aussitôt. Cette petite brise provient des montagnes alentours sur lesquelles nous avons une vue panoramique. Sur la crête, la montagne est belle, noire, rocailleuse, parfois même recouverte de neige, il n’y a pas trace de verdure ici. Après quelques heures de marche, l’observation laisse place à la concentration, le chemin devient plus escarpé. La neige nous oblige à bifurquer, certains tronçons sont totalement recouverts. La tranquille randonnée se transforme alors en parcours d’escalade, à flanc de montage. D’un coté, la neige, de l’autre le vide, on repousse l’observation à plus tard. On se focalise sur notre route, on file droit et on regarde où on met les pieds. Nous comprenons mieux pourquoi des compétences alpines sont requises pour cette randonnée. Habituellement, les difficultés sont effacées par des aménagements du DOC, pas ici. Après 5 heures de marche et d’escalade, nous arrivons au bord du cirque où l’Angelus Hut a pris place, en contrebas. Il nous faut bien descendre de 200 mètres d’altitude pour arriver au niveau des deux lacs qui le borde, à 1650 mètres. Quinze heures sonnent à peine quand nous arrivons, ni livre, ni ordi, pas de cuisine (le riz est déjà cuit), la fin de journée pourrait s’avérer longue. Dans cet entassement hétéroclite de randonneurs kiwis et étrangers, la mayonnaise ne prend pas vraiment. Chacun reste plus où moins dans son coin, en couple où en groupe, personne ne daigne vraiment s’intéresser à nous, nous ne faisons pas non plus l’effort. La montagne autour sera notre divertissement. Il serait dommage de venir jusqu’ici sans profiter de ce panorama magnifique. Le lac gelé, les petits ruisseaux, les sommets baignés d’une lumière rasante, c’est somptueux, la nature nous gâte.

Entre J et J+1 Fin de journée au camp de base: le coucher de soleil rouge sang aura été la seule animation de notre soirée, et aussi sa plus grande réussite. Car notre repas n’aura pas fait honneur à notre tradition culinaire. Le riz aux sardines est loin de s’inscrire dans la longue tradition de la cuisine française. L’observation du panorama comme seul passe temps, les minutes s’égrainent, lentement. L’heure du coucher arrive comme une libération. Nos deux sacs de couchage assemblés pour ne faire qu’un, nous pensons tenir LA bonne idée. Tu parles ! Saucissonnés, serrés, mal installés, gênés, tordus, le cauchemar éveillé ! Le sommeil ne vient que par bribes, et une nuit sans dormir, c’est long ! On cherche le sommeil, mais on y arrive pas, on s’énerve, on gigote, on gêne encore plus son voisin, l’engrenage infernal ! Le matin, avant même d’avoir posé un pied par terre, on est énervé, stressé. Normalement, une nuit en refuge ça commence tôt, c’est calme (sauf ronfleurs) et reposant. Tout l’inverse de l’Angelus ! Plus jamais de sac de couchage commun, pas une promesse, un commandement !

J+1 Nous avons mangé notre pain noir: s’il avait fallu compter sur le petit déj’ pour nous mettre de bonne humeur, nous aurions déjà sauté dans les eaux glacées du lac. La bonne nouvelle vient du ciel, le soleil brille. Un instant, nous hésitons à reprendre la crête, histoire de voir les choses sous un grand ciel bleu, la tentation est grande. A la croisée des chemins, deux choix, tout droit la crête, à gauche Speargrass valley. Va pour Speargrass, bouclons la boucle. Du haut de nos 1800 mètres d’altitude, nous plongeons dans la vallée. Il en va de même pour le paysage que pour un crâne dégarni, plus on se rapproche du sommet, moins l’herbe pousse. La crête est noire, brute, sans verdure. Par contradiction, la vallée se pare d’un vert éclatant, contraste étourdissant. Autour du ruisseau qui coule ici, la flore s’épanouit, les flax et autres espèces d’arbres y abondent. Cela ne va pas sans nous poser un petit problème. Notre chemin longe ce cours d’eau, passant d’une rive à l’autre, au gré des humeurs du bonhomme qui a dessiné le tracé. Petit à petit, il devient moins petit. Encore filet d’eau, nous l’enjambons tel d’habiles hobbits, devenu ruisseau, il nous faut chercher les rochers nichés dans son lit pour le traverser. Signe d’habileté, nous gardons nos petons bien secs. Lorsque nous décidons de nous arrêter pour notre pause déjeuner, ce n’est pas la faim qui nous guide, mais le lieu qui nous oblige. Dans un îlot de verdure, nichés aux pieds du Mont Robert, le plaisir est décuplé, tout devient meilleur. Mère nature nous offre son meilleure cru d’eau cristalline pour nous désaltérer, l’herbe chatouille la plante de nos pieds nus, le soleil nous emplit d’une chaleur revigorante, le temps suspend son envol. Tout devient plus succulent, mêmes nos jambons fromages, deviennent soudainement le meilleur des repas. La magie de la vallée s’achève avec cet épisode. Le mince filet d’eau est devenu rivière, la vallée herbeuse a laissé place au bush. De notre plein gré, nous traversons, les pieds dans l’eau, le ruisseau. Pour nous le bain de pieds, pour le randonneur derrière nous, le bain de siège, frais en plus. Royaume des oiseaux, la forêt s’anime de leurs chants, tels des encouragements pour nous pousser jusqu’à l’arrivée.

Au bout, la lumière, nous sommes à destination, c’est fini. Pour une soirée encore, nous partagerons notre cottage, avec des kiwis cette fois-ci. Pendant qu’ils dîneront, un peu pompettes, au resto, nous resterons sagement à la maison, dégustant nos frites de kumaras. Un petit coup de fil en France pour souhaiter un joyeux anniversaire au Papa de Nico, voila notre journée qui s’achève, des images plein la tête.

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