Le bruit des glaçons

Woofing, deuxième ! Tuatapere c’est du passé, voici Franz Josef et le Montrose Backpacker, une auberge de jeunesse. A notre arrivée, le premier contact avec Skye et Ray est bref, « là c’est la cuisine, ici le living room et pour finir votre chambre, see you guys ». Chambre, dortoir plutôt ! Pas de petite double tranquiloux, nous allons devoir composer avec nos voisins woofers, Sebastian l’allemand et l’autre.

Le dernier lascar ne mérite pas qu’on s’y attarde. Un type à la masse, moitié cradosse, moitié cas soc’, pas une compagnie que l’on vous souhaite. D’ailleurs, Ray & Skye n’en veulent pas non plus, le lendemain de notre arrivée, il prend ses cliques et ses claques.

Ce petit nuage évacué de notre ciel bleu, va ptêt’ falloir s’y met’ si nous voulons dormir au chaud cette nuit ! Passer l’aspirateur, nettoyer les salles de bain, récurer les toilettes, changer les couettes, plier les torchons, arranger le salon, faire la poussière, les tâches ne manquent pas. Dorénavant cinq avec Claire et Riley, cette petite armée monte au front tous les matins à la même heure, 10h30,  prête à lustrer l’auberge de fond en comble. Mais ici pas de ça, pas le genre de la maison, c’est là que ça devient magique. A peine une heure de travail, nous voila tous libérés de nos obligations. Du jamais vu ! Tous ceux qui passent ici n’en croient pas leurs yeux. Une question nous turlupine, pourquoi accueillir autant de woofers alors qu’il y a si peu de clients ? A cette question, nous n’avons que le début d’une ébauche de réponse, leur hospitalité, rien d’autre.

Malgré tout le charme de l’auberge, ce n’est pas elle qui nous a attiré ici. Exceptionnelles et rares sont les deux langues glaciaires qui se trouvent à proximité. Avec leur compère argentin, Franz Josef et Fox Glacier sont les trois seuls glaciers à être si proches de la mer. Les montagnes, la forêt tropicale, la mer, les glaciers, c’est un melting pot improbable et incroyable. Notre religion est faite, il nous faut relever un défi, celui de marcher sur la glace, voila qui est dit !

A lieu exceptionnel, prestation exceptionnelle, limite haut de gamme. Transport en hélicoptère, marche guidée de 3 heures sur la glace, puis retour à la case départ, toujours en hélico, sur le papier ça a de la tronche. Pour nous l’offrir, nous avons hypothéqué nos peaux de fesses, mais ça en valait vraiment la peine.

En attendant notre tour à l’hélistation, le bal des hélicos atterrissant et décollant nous fait piaffer d’impatience. Le moteur gronde, la rotation des pales s’accélère, soudain, il s’arrache au plancher des vaches, la vitesse et l’agilité d’une abeille, le voila au loin, plus qu’un point, vite notre tour ! Surtout qu’engoncés dans nos tenues, nous nous sentons un peu comme des gigots dans un four brûlant. L’attirail fourni par le prestataire, nous permettrait d’affronter un froid sibérien, sauf qu’ici, le soleil chauffe, le thermostat monte, il nous tarde vraiment de marcher sur la glace.

Quand enfin le carrosse est avancé, toutes les consignes de sécurité nous reviennent en tête. On baisse la tête, on tient sa casquette, on se dépêche et une fois dedans, casque sur les feuilles de chou et pas d’impaires ! Désormais, c’est la voix du pilote qui raisonne, parés au décollage. Les lois de la gravité sont bafouées, la terre s’éloigne, les sensations se bousculent. Voler, admirer, profiter. Long de 7 minutes, le vol est aussi bref qu’intense en émotions.

Sur la piste d’atterrissage improvisée sur le glacier, Nicky, notre guide anglaise s’empresse d’accueillir son tout petit groupe, 3 personnes, pas une de plus. Pas le temps de cogiter, nous enfilons les crampons, 3 heures sur la glace, le temps est délicieux et le glacier baigné de soleil.

Blanche, bleue, la glace use de toute sa palette de couleurs pour nous charmer. Ce décor de glace si majestueux nous devient accessible l’espace d’un court instant. Temps suspendu, chaque moment passé sur cet amas de neige compact nous met en émoi. Un trou béant dans la glace, un tunnel, des grottes, des passages étroits, cette langue glaciaire offre un terrain propice aux aventures. Nicky nous guide, taille d’éphémères escaliers à l’aide de sa pioche, nous abreuve d’explications et d’anecdotes, prend des photos, sa compagnie est agréable, indispensable pour ne pas s’égarer sur cet océan de glace. D’ailleurs, elle nous presse, le temps a passé, l’hélico va arriver, une dernière photo, à peine, nous voila embarqués. Dans le cockpit, l’excitation, le glacier, le vol, les dernières images, nos rétines impriment en vitesse accélérée, c’est fini.

Pas tout à fait quand même, avec Franz et Fox, nous avons repris rendez-vous. Ces deux là, nous les connaitrons presque sous toutes les coutures. En nous rendant aux pieds des glaciers, nous avons pu les comparer l’un à l’autre. Impossible d’en préférer un au détriment de l’autre, mais nous connaissons mieux Franz, c’est notre voisin le plus proche. Au Lac Matheson, près de Fox, nous avons attendu que le Mont Cook se reflète dans les eaux du lac. En vain, nos prières et incantations n’y feront rien, les nuages gris seront les plus forts. La vue la plus spectaculaire reste sans conteste celle d’Alex Knob. Un nouveau pote à nous, un mec qui mesure 1 303 mètres, un géant comparé à Yao Ming. Sur ses épaules, la vue plongeante sur le glacier nous laisse KO debout, frappés par les beautés alentours. Le glacier de Franz Josef, les sommets enneigés des Alpes du Sud, la mer turquoise, le ciel bleu, époustouflant ! Ca plane pour nous ! Mais la morsure du froid se charge de nous ramener sur terre, sur neige plutôt. Les pieds, les mains, le visage, le froid nous fait greloter. Après 3h20 de marche, nous étions en droit d’attendre un peu plus d’égard à notre encontre. Mais non, là-haut on se moque du printemps, le froid est roi, la neige sa reine, nous leurs invités, résister ou partir, pas d’autres options. Finalement, nous abdiquons, l’observation fut brève, mais intense, ainsi soit-il.

Ici, nous aurons expérimenté toutes les conditions météo : les après-midi pluvieuses, la neige et le froid au sommet d’Alex Knob, le soleil et le vent à Hokarito. Là bas, la forêt, proche de la mer, a été décrétée «kiwis zone », 300 petits bruns tentent d’y survivre malgré les menaces qui pèsent sur eux (possums, rats). Les voir relèverait de l’exploit, ils sont nocturnes, nous diurnes. A défaut d’observer les petites bêtes, nous apprécierons au sommet d’une colline la vue panoramique à 360 ° sur la mer, le bush, le lagon et la montagne. Pour finir, une petite balade en bord de mer. Le vent hurle sa rage, nous luttons de tout notre être pour avancer. Essoufflés, nous déposons les armes, non sans avoir admiré le lagon tout proche s’emplir d’eau de mer.

Des questions ? Allez-y ! Nous connaissons presque toutes les balades du coin, l’office du tourisme locale (communément appelé i-site) pourrait nous embaucher ! D’ailleurs, nous endosserons ce rôle auprès des nouveaux woofers, une chance pour eux ! Il faut dire, que tous les jours où le soleil est sorti, nous avons fait de même, en deux semaines nous en avons vu du pays ! En faisant le compte, peut être avons-nous eu plus de jours de pluie que de soleil. Et ici, quand elle tombe, mieux vaut se planquer, c’est un bombardement en bonne et due forme. Tous aux abris ! Au choix, l’Aviator Café pour un petit noir ou un capuccino, les Glacier Hot Pools pour un bain à 36, 38 ou 40°c, la boulangerie pour un petit doughnut fourré à la custard cream ou nos pénates, pour y travailler notre anglais, se préparer une whitebait pattie, faire un BBQ ou s’y mater un film, selon l’humeur.

En tout point de vue, ce coin de la Nouvelle-Zélande méritait que nous nous y arrêtions. Non seulement nous y avons trouvé un petit chez nous, mais en plus, ce glacier, nous a abreuvé d’émotions pendant deux semaines.